Beth avait tout préparé soigneusement. Ce matin, après sa douche, elle avait revêtu une robe d’été jaune pâle ainsi qu’une paire de sandales. Elle avait ensuite marché jusqu’au centre ville pour y acheter tout ce qui lui serait nécessaire afin de préparer le pique-nique de ce soir. Elle avait garni son panier de courses de légumes et fruits de saison, d’une grosse miche de pain frais, de fromages et d’œufs. Elle avait également acheté une bouteille de Lambrusco rouge, un vin pétillant qu’elle avait découvert durant son séjour à Florence l’an passé. Elle avait passé une partie de l’après-midi à confectionner des sandwiches, des cakes et des tartes, puis elle était allée récupérer le vélo promis -une petite bicyclette bleue munie d’un joli panier à l’avant. Elle l’avait payé à peine 30$, ce qui était plus que raisonnable. Elle avait fini par aller courir une demi-heure sur le sentier derrière leur maison, puis était rentrée se doucher. Elle avait repassé sa robe du jour, s’était maquillée légèrement et avait soigneusement placé le pique-nique et une grande nappe dans le panier de son vélo. Elle avait également pris le soin d’ajouter à cela un gilet au cas où le temps se rafraichirait et des couverts et des verres. Elle avait pédalé à vive allure jusqu’à un coin de plage tranquille, où seuls quelques promeneurs venaient marcher à l’occasion. Le soleil brillait encore mais commençait à décliner. Elle était en train d’installer les victuailles sur la nappe quand elle aperçut la silhouette d’Oscar approcher. Elle leva un bras pour lui signaler sa présence et s’écria en riant « Tu n’es presque pas en retard ! »

Il lui lança une pique à son tour, la faisant sourire. Elle s’assit à genoux sur la nappe et termina de vider le panier en disant « Tu as bien fait. Tu es très séduisant comme ça. » Elle frotta ses mains l’une contre l’autre pour se débarrasser du sable et s’installa plus confortablement. « J’en ai peut être un peu trop fait ! Il y a de tout, j’ai même fait des mini-sandwiches au jambon pour que tu aies ta dose de viande. » Elle lui fit un clin d’œil et lui fit signe de s’asseoir près d’elle, avant de saisir le bâton plein de bave de Buck pour le lui lancer loin. Il faisait bon et la plage était déserte. Elle avait consulté ce matin le tableau des marées et l’eau resterait basse ce soir. Elle étendit ses jambes et s’étira longuement. C’était très agréable de se trouver là. « Tu as passé une bonne journée ? » lui demanda-t-elle en prenant la bouteille de vin. Après plusieurs secondes à essayer de la déboucher, elle la tendit à Oscar en ronchonnant « Fais-le toi, je suis nulle avec ces choses-là. Moi je tiens les verres. C'est plus sûr. » Elle battit des cils et lui fit un sourire enjôleur. Elle aimait cuisiner, mais le débouchonnage d'une bouteille était une activité trop manuelle pour elle.

Elle hocha la tête en jetant un regard fier à la nappe recouverte de nourriture. Elle n’avait pas chaumé. Elle prit un couteau à bout pointu et commença à couper un cake au chèvre et aux tomates en tranches, quand Oscar l’embrassa. Elle en fut un peu surprise, mais ne dit rien. Elle avait peur qu’il le prenne mal, ou qu’il en soit gêné. Et puis en soi ça ne la dérangeait pas, au contraire. Comme Oscar, elle choisit un sandwich au saumon fumé et à la crème saupoudré d’aneth et prit son verre pour le faire tinter contre celui de son colocataire. « A Gisborne ? A notre jolie maison ? » Elle lui sourit. Elle n’avait pas osé dire « à nous », elle savait qu’Oscar voulait prendre son temps et elle le comprenait. Elle préférait jouer la carte de la nonchalance. Elle ne voulait pas le braquer. En fait, elle ignorait le genre de relations qu’Oscar avait eu avant elle. Elle ne savait pas s’il s’était déjà engagé sérieusement avec quelqu’un. Pour le coup, elle elle avait de l’expérience. Elle était déjà sortie avec une dizaine de personnes, et sérieusement avec quatre. Sans parler de Lester. Parfois elle rêvait encore de lui. Elle se réveillait alors avec la sensation d’être une coquille vide. Elle l’avait aimé sincèrement, et l’avait encore aimé bien après leur rupture, un amour entremêlé de haine et de rancœur. Elle soupira et prit une gorgée de Lambrusco. Elle en voulait à Lester de réapparaitre dans son esprit à chaque fois qu’elle se rapprochait de quelqu’un et qu’elle passait un bon moment. Elle perdit son regard dans la mer, songeuse, puis elle secoua la tête et dit « Excuse-moi, je pensais à autre chose. » en souriant vaguement. Elle toussota et lui confia « Je suis heureuse d'être là avec toi. »

Oscar sourit avec douceur et elle le lui rendit. Elle poussa un soupire d’aise et but une nouvelle gorgée de vin. Le bulles lui chatouillèrent le nez, la faisant rire. Soudain, Oscar se leva et commença à se déshabiller. Beth haussa un sourcil équivoque mais se garda de tout commentaire. S’il lui prenait l’envie de lui faire un strip tease privé, elle ne l’empêcherait pas, bien au contraire. Elle déchanta rapidement quand il la chargea sur son épaule comme la nuit passée et prit la direction de la mer. Beth eut un fou rire incontrôlable, elle ne le souhaitait pas mals les gloussements s’échappaient de sa bouche bien malgré elle. « Arrêeeete, lâche-moi ! » Elle se débâtit mollement, mais cessa tout mouvement quand elle se rendit compte qu’elle se trouvait au dessus de l’eau. Elle s’agrippa alors à Oscar et feula « Non, non me lâche pas ! » Oscar lui souffla quelques mots et elle répondit « Ah bon tant mieux parce que… parce que j’ai pas de sous-vêtements. » C’était faux, mais elle profita de la surprise d’Oscar pour le déséquilibrer. En tant normal, ç’eut été parfaitement impossible. Elle pesait une cinquantaine de kilos et il avait une formation militaire, mais l’étonnement et le sable mou jouant en sa faveur, ils se retrouvèrent l’instant d’après tous les deux assis dans l’eau, riant aux éclats. Elle n’était pas le genre de fille à s’offusquer d’avoir les cheveux et les vêtements mouillés, aussi se jeta-t-elle sur son colocataire pour l’éclabousser à nouveau.

La situation devenait plus ambigüe. Oscar et Beth étaient collés l’un à l’autre, leurs vêtements plaqués à leur peau. Qui a dit cliché ? Il s’éloigna soudain pour nager vers l’horizon. Beth le regarda s’éloigner sans bouger. Sa silhouette se détachait dans l’obscurité. La lune n’était à moitié pleine mais éclairait tout de même la mer et la plage -suffisamment du moins pour qu’ils se retrouvent. Beth se releva et enleva tant bien que mal sa robe trempée et la jeta sur le sable. Elle fit un pas vers Oscar mais s’arrêta net. L’océan l’effrayait. Ça avait toujours été le cas. De jour, elle se plaisait à barboter non loin du bord, mais elle était incapable de faire de la plongée sous-marine, ni même de regarder la Petite Sirène. Et s’immerger seule dans l’eau dans le noir était au-dessus de ses forces. Elle attendit donc patiemment qu’Oscar revienne vers elle pour aller se pendre à son cou. « Est-ce que tout va bien ? » lui demanda-t-elle d’une voix douce. Elle ne savait pas pourquoi il n’était pas resté là-bas avec Buck. Rester sur le bord de l’eau n’était amusant pour personne. Elle effleura son nez du bout du sien avec tendresse.